Visite du CRA de Metz

Le 27 juillet dernier, j’ai fait usage de mon droit de visite des lieux de privation de liberté pour effectuer une visite impromptue au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Metz-Queuleu, comme je l’avais fait en septembre dernier dans la prison voisine, le centre pénitentiaire de Queuleu, ainsi qu’à la prison de Sarreguemines deux mois plus tard. L’objectif était d’y constater les conditions de rétention et d’échanger autant avec les « retenus » qu’avec le personnel qui travaille dans ce centre : police aux frontières mais aussi personnel soignant et travailleurs associatifs.

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Pour rappel, un CRA est un établissement dont la vocation est de « retenir » des personnes étrangères dont la situation administrative est irrégulière et qui sont sous le coup d’une mesure dite « d’éloignement ». Traduction de cette novlangue euphémisante : un lieu où sont enfermés des personnes sans-papiers sous le coup, le plus souvent, d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) ou d’une Interdiction de Territoire (ITF) et qui doivent être expulsées. Il ne s’agit donc pas d’un établissement carcéral et en théorie, rien ne justifie qu’un CRA s’apparente à une prison, mais dans les faits… c’est le cas, et de plus en plus. Une des particularités, et non des moindres, du CRA de Metz-Queuleu est qu’il peut y accueillir des familles avec enfants. Le jour de ma visite, aucun enfant n’était présent, seuls 45 hommes et 2 femmes étaient alors « retenus ». Les lits enfants et l’aire de jeux entourée de grilles surmontées de barbelés étaient donc vides, ce qui n’en a pas rendu la visite moins lourde…

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Pourquoi cette visite ?

L’usage de ce droit réservé aux parlementaires, de visiter des lieux de privation de liberté, me semble essentiel. C’est une façon de faire entrer « le peuple », ou du moins sa représentation nationale, à l’intérieur de ces lieux cachés, d’ordinaire entièrement soustraits aux regards. Pour les visites de ce type, nous parlementaires, avons le droit d’être accompagnés par 5 journalistes (presse écrite, radio, télé…). La possibilité d’y faire entrer la presse est évidemment aussi extrêmement importante. Il s’agit là d’informer directement la population.

Cette visite a aussi été malheureusement motivée par la publication, en juin dernier, du rapport de la Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté, Dominique Simonnot (https://www.cglpl.fr/) intitulé « Recommandations relatives aux centres de rétention administrative de Lyon 2 (Rhône), du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), de Metz (Moselle) et de Sète (Hérault) » (lien vers le rapport : https://www.cglpl.fr/2023/recommandations-relatives-aux-centres-de-retention-administrative-de-lyon-2-rhone-du-mesnil-amelot-seine-et-marne-de-metz-moselle-et-de-sete-herault/) qui épingle sérieusement le CRA de Metz.

Le rapport est accablant. Il dénonce le « caractère vétuste ou dégradé, insuffisamment entretenu » des locaux, des « sols sales et abîmés », des temps de ménages trop court, des « sanitaires et salles d’eau (…) dégradés – humidité, peinture écaillée, saleté incrustée », des locaux où les gens ont froid, comme dans la salle « familles » de Metz. Une absence totale d’intimité, je cite : « A Metz, les personnes retenues tendent des tissus dans l’embrasure de leur porte et sur les fenêtres, ou tentent de bloquer les portes des chambres avec des matelas ». Le rapport fait aussi état de portions insuffisantes pour les repas qui ne garantissent pas le minimum alimentaire pour un public dont la santé physique et mentale nécessite déjà une attention particulière.

La contrôleuse (CGLPL) dresse un bilan, encore une fois, vraiment alarmant, des conditions de rétention en termes de dignité humaine : insalubrité, hygiène, intimité, besoins vitaux, absence totale d’occupations, sécurité. Je dis « encore une fois » car ces alertes se multiplient. Chaque contrôle vient constater qu’aucune recommandation n’est suivie et que les conditions se dégradent, dans ces lieux qui se « carcéralisent » de plus en plus. L’aspect « carcéral » est particulièrement notable à Metz, où le CRA jouxte la prison, sous le contrôle des miradors. Les quelques retenus qui sont passés par la case prison (25 % des retenus) avec qui j’ai pu échanger m’ont d’ailleurs dit « on est mieux traités à la prison ».

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Au cours de ma visite, j’ai pu faire le même constat que la CGLPL : des locaux très vétustes, avec des morceaux de sols manquants, des « chambres » seulement munies de lit, étagères, bancs et tables métalliques sans aucun espace d’intimité ni possibilité de ranger ses effets personnels (qui sont maintenus à la « bagagerie » sous surveillance policière). Des portes absentes, ou qui ne ferment pas (sauf via des systèmes bidouillés avec des morceaux de draps). Dans chaque pavillon, une petite pièce dite de « convivialité » munie d’un tas de matelas, d’une télé ainsi que d’une table. Des fenêtres qui n’ouvrent que sur quelques centimètres. Des sanitaires très sales… Bref, des conditions d’accueil indignes. A l’extérieur, quelques agrès, un terrain de sport, les jeux pour enfants, isolés des espaces « hommes » par des grilles et des barbelés partout. « Les gens sont libres d’aller et venir » me dit le directeur… libres au sein des grilles, entre leur pavillon et la cour extérieure.

J’ai aussi échangé avec de nombreux retenus qui se plaignent de ces conditions : ils n’ont rien à faire, vivent dans l’insalubrité, dans un stress permanent intrinsèquement lié à leur situation d’attente et d’angoisse, font face à des tensions très fortes (qui dégénèrent parfois en bagarres), ont faim. Ce qui revient le plus souvent aussi, et qui finalement nous rappelle l’absurdité même de la situation, c’est qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils font là…Il attendent l’asile, ils veulent des papiers, ils veulent travailler, vivre ici. Beaucoup semblent avoir besoin de soins médicaux et notamment psychologiques et psychiatriques.

Dans ces conditions, la rétention d’enfants, même de courte durée, est d’autant plus inacceptable.

Au cours de ma visite, j’ai été accompagnée par le directeur et plusieurs fonctionnaires de police (Police aux Frontières) qui se sont rendus très disponibles et ont permis des échanges très instructifs au cours de cette longue visite de presque 3 heures. J’ai pu me rendre partout : pavillons hommes, familles, sanitaires, réfectoire, chambre d’isolement, unité médicale, locaux de l’ASSFAM…

J’ai échangé avec une des 3 infirmières de l’Unité médicale (qui compte également un médecin), qui dépendent de l’hôpital de Mercy. La prise en charge médicale existe, grâce à ces personnels soignants qui font le plus souvent face à des gens parfois en grande problématique d’addictions multiples et souvent en détresse psychiatrique. Malheureusement, aucun suivi psychiatrique ou même psychologique n’existe, malgré des besoins très accrus sur ces populations en situation de très forte anxiété.

Ces conditions très dégradées, indignes, dans un contexte d’allongement de la durée maximale de rétention (de 45 à 90 jours depuis la loi « Asile et Immigration » de 2018) et de manque de perspectives lisibles pour les personnes retenues (lenteur structurelle de l’administration française du fait du manque de moyens humains, pays d’origine des personnes compliquant parfois les procédures de retour au pays) conduisent à des situations inhumaines et à une montée des tensions dans ces centres. C’est donc la dignité et la sécurité des personnes retenues qui sont en jeu, tout comme les conditions de travail des personnels de la police au frontière.

Cette situation dans les CRA français est le symptôme d’une politique migratoire inhumaine qui n’apporte en rien les résultats qu’elle prétend viser. L’allongement de la durée de rétention n’a aucun effet sur les résultats « d’éloignement » et la rétention et/ou l’expulsion des étrangers irréguliers ne découragent en rien les migrations. Ces mesures ajoutent juste un peu plus d’inhumanité à des situations déjà intenables. La fuite en avant du gouvernement vers une politique migratoire de plus en plus dure et inhumaine, largement inspirée des programmes d’extrême droite, avec notamment la volonté de créer encore plus de places en CRA, est dangereuse, indigne de notre République, inhumaine et de plus inefficace.

C’est pourquoi notre programme vise à établir une politique migratoire réaliste et humaine : traiter les causes des migrations à la source (la source étant d’ailleurs le plus souvent à chercher dans nos économies néo-libérales) et proposer un accueil digne des personnes passant par l’abolition de la rétention des familles et des enfants. Il faut dépénaliser le séjour irrégulier et abolir le placement en centres de rétention administrative des enfants et de leurs parents.

Notre programme est riche sur le sujet (https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/migrations/), il est humaniste mais il est surtout réaliste ! Nous aurons « malheureusement » encore l’occasion de le défendre au cours de l’examen du futur Projet de Loi « Asile et Immigration » de 2023. « Malheureusement » car il s’agira d’une énième loi sur la question de l’immigration, sujet « épouvantail » par excellence qui permet de ne jamais traiter des véritables causes des crises que nous vivons, à savoir l’absence de justice sociale et de partage des richesses. « Malheureusement » aussi car nous entendons déjà les discours effrayants de la droite et de la Macronie qui donnent tant de crédit aux théories racistes de l’extrême droite tant elle les incarne de plus en plus.

Alors oui, cette visite me galvanise pour combattre ce projet de loi, elle me rappelle l’objectif humaniste que nous devons garder comme boussole pour traiter de ces sujets, de ces vies…

Dans les médias

Reportage par FR3 Lorraine : https://fb.watch/mcXbzJXk_x/

Article dans le Républicain Lorrain : Metz. Centre de rétention de Metz-Queuleu : « Rien ne légitime des conditions d’accueil aussi indignes » (republicain-lorrain.fr)

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