Le 9 décembre dernier, nous fêtions les 118 ans de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat. Quelques jours auparavant, le 5 décembre, mon groupe parlementaire, par la voix de mon collègue député de Seine-Saint-Denis Bastien Lachaud, présentait une proposition de loi (PPL) visant à l’application du principe de laïcité partout sur le territoire national.
Patatras, sitôt déposé, ce texte a fait la une de la presse quotidienne régionale. Je n’ai d’ailleurs jamais été autant sollicitée par la presse locale : 3 interviews en quelques jours et des mentions dans les différents journaux lorrains et alsaciens. Pourquoi ? Parce que parler application de la laïcité en Alsace et en Moselle, c’est parler Concordat ! Et c’est un sujet local indéniablement explosif… enfin, surtout quand la confusion est volontairement entretenue avec la question du droit local.
Je prendrai pour exemple le titre d’un article paru le 8 décembre dans les Dernières Nouvelles d’Alsace suite à la sortie de notre PPL : « une proposition de loi LFI touchant au droit local sème l’émoi ». Puis le lendemain (après notamment une mise au point salutaire par mon collègue Emmanuel Fernandes, député du Bas-Rhin, pour stipuler clairement qu’on ne touche pas au droit local), dans le même journal, ce titre : « tempête dans un verre d’eau bénite ». Ces deux titres résument assez bien la séquence médiatique à laquelle nous avons assisté sur ce sujet. C’est pourquoi je souhaite revenir sur cette séquence : 1) pour clarifier tout cela : ce que fait notre proposition, notre programme et comment nous souhaitons agir pour aller vers l’abrogation du Concordat et 2) pour rassurer sur nos intentions, notamment en termes de droit local.
Un horizon politique : la sortie du Concordat
La PPL portée par Bastien Lachaud doit être considérée comme une loi « cadre » sur le sujet, celle qui trace notre horizon politique en termes de laïcité, à savoir notre volonté de faire appliquer la loi de 1905, et rien que la loi de 1905, sur l’ensemble du territoire national ! Il est donc prévu, dans ce texte, de mettre fin aux régimes dérogatoires d’Alsace et de Moselle, mais également en Guyane et à Mayotte. Pour cela la PPL propose toute une série de mesures. Premièrement au niveau institutionnel, en réaffirmant la neutralité de l’Etat et de ses représentants et en interdisant le financement des cultes par les collectivité et l’état, qu’il soit direct ou indirect (réduction d’impôt). Ensuite, au niveau de l’éducation nationale avec la suppression de l’enseignement religieux dans les écoles publiques et la suppression du financement public des écoles privées. Et enfin, au niveau des services publics, en réaffirmant là-encore la neutralité des agents publics, pour un service public et gratuit des obsèques, et une garantie que les clauses de conscience religieuses ne feront pas entrave à l’accès à un service public. A l’heure où Emmanuel Macron assiste à une messe papale à Marseille et célèbre Hanouka à l’Elysée, il semble primordial de rappeler que la laïcité c’est la séparation des Eglises et de l’Etat et c’est assurer cette neutralité pour une liberté de conscience totale, pour toutes et tous nos concitoyens.
Plus concrètement, pour ce qui est de l’Alsace et de la Moselle, cette loi propose de supprimer les dispositions concordataires relatives au droit local des cultes en vigueur en Alsace-Moselle. La suppression concerne seulement les privilèges publics dont bénéficient certains cultes, les droits sociaux ne sont absolument pas remis en cause (article 2). Le dispositif supprime les établissements publics locaux du culte d’Alsace-Moselle et institue des associations cultuelles dans ces départements (article 3) ; mets un terme au recrutement de ministres du culte par l’État en Alsace-Moselle et organise la transition pour ceux qui sont en fonction (article 4) ; et enfin, abroge le statut scolaire particulier de l’Alsace-Moselle donc les cours de religion et le CAPES de religion (article 12). Petite précision à noter : concernant le salariat des ministres du culte, il est bon de rappeler que ce sont bien l’ensemble des français (et non pas seulement les alsaciens et les mosellans) qui payent pour les représentants des trois cultes catholique, protestant et israélite en Alsace et en Moselle. Et cela leur (nous) coûte 55 millions par an.
Je le disais, cette loi, c’est notre horizon politique puisque ce n’est ni plus ni moins que ce que nous avons porté dans le programme présidentielle l’Avenir en Commun en 2022 et même en 2017. Pas de tromperie sur la marchandise donc. Tout cela avait été annoncé en toute transparence, à tel point qu’en Alsace, l’élection de mon collègue Emmanuel Fernandes avait été caricaturée par son adversaire (Modem) Sylvain Waserman comme étant un « referendum » sur le concordat. Dont acte, Emmanuel Fernandes a été élu, comme je l’ai été en Moselle.
Mais, parce qu’en tant qu’élus de ces départements nous savons à quel point ce sujet peut déchainer les passions, souvent parce qu’instrumentalisé et volontairement confondu avec la question du droit local (j’y reviendrai), nous avons choisi de porter une seconde proposition de loi qui peut être vue comme une première étape, sur un aspect qui emportera, j’en suis sûre, une large approbation.
« Rendre le temps d’enseignement scolaire égal sur l’ensemble du territoire de la République »
Telle est nommée cette proposition de loi que nous venons de déposer (mars 2024) avec mon collègue Emmanuel Fernandes. Comme son intitulé l’indique, celle-ci vise à rétablir l’égalité de traitement entre les élèves d’Alsace et de Moselle et ceux du reste de la France face au temps scolaire. En effet, les écoliers de nos départements se voient dispensées seulement 23h d’enseignement des savoirs, par semaine, contre 24h sur le reste du territoire national. A la fin du premier degré, ce sont 180 heures d’enseignement qui manqueront à ces enfants. En effet, une heure d’enseignement religieux est toujours de mise en Alsace et en Moselle, prise sur le bloc obligatoire. Cette heure d’enseignement religieux, c’est une heure de moins pour des matières scientifiques, le français, l’histoire… pour les « savoirs ».
Le fait de pouvoir déroger à cette heure d’enseignement religieux, qui n’est certes plus obligatoire, n’est pas une solution satisfaisante, dans la mesure où cela ne résout pas la perte de cette heure d’enseignement des savoirs et le caractère inégalitaire pour les écoliers, face à l’enseignement. D’autant qu’une autre inégalité se cache derrière cela. En Alsace, une « heure d’enseignement moral » est prévue pour les élèves dispensés. En Moselle, rien du tout ! Il est même conseillé aux enseignants mosellans de surtout ne rien proposer d’autre qui pourrait concurrencer l’heure religieuse, laissant les enseignants désœuvrés.
Nous proposons donc, Emmanuel Fernandes et moi-même, de tout simplement rendre le temps d’enseignement scolaire égal sur l’ensemble du territoire de la République. L’enseignement religieux pourra toujours être proposé de manière optionnelle et facultative par les établissements en dehors des heures d’enseignement obligatoire. Cette dernière mesure permet une progressivité du dispositif pour éviter toute perception brutale de ce que nous considérons comme une avancée en termes de laïcité. Car sur le fond, le message que nous portons est bien celui qui rappelle que la laïcité, ce n’est pas la « liberté de religion » mais bien la « liberté de conscience » et que le rôle de l’école est celui de la transmission des savoirs et que sa mission est émancipatrice.
On ne touche pas au droit local !
Ça va mieux en le disant et en l’écrivant ! Il faut le redire en effet, car c’est l’argument fallacieux qui nous est opposé dès qu’on parle concordat. C’est une instrumentalisation bête et méchante de nos propositions car non, le concordat n’est pas le droit local ! Que tout le monde se rassure, le programme de la France Insoumise, l’Avenir en Commun, est un (si ce n’est LE) programme de progrès social dans lequel nous prévoyons en réalité de généraliser les avantages sociaux, comme ceux qui relèvent du droit local, sur l’ensemble du territoire national. Nous sommes pour réduire le temps de travail et donc généraliser les deux jours fériés supplémentaires alsacien et mosellan. A ce propos, nous sommes fermement opposés à l’article de la loi sur la transformation de la fonction publique (entré en vigueur en janvier 2022), qui annualise le temps de travail des agents de la fonction publique sur tout le territoire national organisant ainsi le « rattrapage » des deux jours fériés alsaciens-mosellans.
Nous sommes pour supprimer les carences en cas d’arrêts maladie, pour les salariés. A ce propos, je me suis rendue à la mobilisation organisée par la CGT Amazon ETZ2 à Augny en février 2023 en soutien à leur lutte pour préserver un dispositif du droit local qui permet le maintien de salaire, sans jours de carence, en cas d’arrêt maladie !
Enfin, nous sommes une sécurité sociale à 100 % et donc un modèle plus avantageux, même pour les assurés d’Alasace et de Moselle.
Où sont nos détracteurs, bien prompts à entretenir la confusion entre concordat et droit local pour, quand il s’agit de défendre ce dernier ?
Le droit local, pour nombre de ces dispositifs et notamment sociaux, est une fierté pour les alsaciens et mosellans, à juste titre et nous en sommes les premiers défenseurs.
Vous le voyez, rien de révolutionnaire dans nos propositions mais un horizon politique assumé : la fin du concordat et la laïcité appliquée partout de la même façon, en France, pour garantir à chacun la séparation des Eglises et de l’Etat et la liberté de conscience. Et à plus court terme, un retour que nous espérons rapide, à un enseignement complet pour les élèves d’Alsace et de Moselle. L’élection de députés de la gauche (NUPES) dans ces départements nous donne l’occasion d’avancer à nouveau sur ces sujets, et c’est pourquoi nous nous y attelons !